Gestion des nouvelles entrées au département des collections film

 ©Bea Borgers

Pré-inventaire

& Analyse des éléments filmiques

Les archivistes entreprennent un travail d’analyse physique des éléments afin d’établir leur état de conservation.

Une attention particulière est prêtée aux mauvaises odeurs, à la présence éventuelle de moisissures, de saleté et de rouille, ainsi qu’aux signes visuels de décomposition. Cela permet de déterminer au préalable les conditions de stockage dans lesquelles l’élément devra être conservé et surtout d’intervenir rapidement, si nécessaire, afin d’appliquer toute procédure indispensable dans le but d’assurer la sauvegarde de l’élément. Les films en état de décomposition avancée, présentant des moisissures ou encore affectés par le syndrome du vinaigre, sont isolés du reste de la collection et placés dans un espace de l’archive dédié au traitement de films endommagés.

Reconditionnement

Il est important que les éléments filmiques soient conservés dans des boîtes de film propres.

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Tout élément présent à l’intérieur de la boîte, tel que du papier, est également écarté. Il est cependant reconditionné et conservé séparément, étant composé d’autres matières qui entrent en réaction chimique avec la pellicule et mettent en danger la bonne conservation.

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Si la boîte présente des signes de rouille ou d’autres endommagements et ne permet donc plus d’assurer une protection optimale de l’élément, nous procédons alors à un reconditionnement dans des nouvelles boîtes de film. Durant ce processus, il est impératif de collecter les informations présentes sur l’ancienne boîte afin de préserver toute donnée relative à l’élément filmique.

Identification

des éléments et catalogage

Avant de ranger tout élément entrant dans l’archive, il est impératif de l’encoder dans la base de données. Pour ce faire, nous rassemblons toutes les informations permettant l’identification des nouvelles entrées.

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Afin d’identifier un film, il nous est essentiel de connaître, entre autres :

  • Le titre

  • Le nom du réalisateur

  • La langue d’origine

  • La durée

  • L’année

  • Le pays

  • La société de production

Certaines de ces informations peuvent figurer sur la boîte du film ou sur le film même. Dans le cas contraire, les archivistes mènent alors une recherche plus approfondie ; ils collectent toute information qui serait utile à l’identification.

  • Par la suite l’archiviste commence à analyser le texte filmique : il essaie d’identifier les acteurs mais aussi tout détail pouvant aider à dater le film et, ensuite, à l’identifier - les costumes, les voitures, les trains, les journaux de l'époque, les décors etc. Si ces informations sont fragmentaires ou absentes, il est nécessaire d’effectuer des recherches documentaires.

  • Pour des œuvres de fiction, nous pouvons consulter des bases de données en ligne et/ou des catalogues spécialement conçus pour les professionnels.

  • Pour les films documentaires, les films expérimentaux, les films publicitaires et/ou les actualités, ces recherches sont beaucoup plus complexes car les sources spécialisées à disposition sont bien moindres. Dans ces cas l’élément filmique devient la seule source pour l’identification du film.

  • Puis, afin d’assurer le bon catalogage des nouvelles entrées dans nos collections, les archivistes inspectent les éléments afin de recueillir toutes les informations techniques essentielles à la réalisation de l’inventaire :
    • Typologie support

    • Durée de projection

    • Nombre de bobines

    • Format

    • Cadence

    • Format de l'image

    • Film en noir et blanc/film en couleur (Gevacolor, Eastmancolor, Ferraniacolor, Technicolor…)

    • Parlant/muet et typologie du son (Mono, Dolby Digital, Dolby Digital Surround….)

    • Langue originale

    • Typologie des sous-titres

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Classement et entreposage dans les stocks

Une fois les films identifiés et inventoriés dans la base de données, ils sont dès lors rangés selon un placement défini par un numéro de classement attribué. Ceci permettant de localiser l’élément au sein de notre vaste collection. Les éléments sont stockés dans des lieux différents selon la typologie de la pellicule : nitrate, acétate et/ou polyester.

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Conservation

Les collections de CINEMATEK sont stockées selon les standards de conservation définis par la communauté des archives, dans des locaux climatisés. Les films sur support pellicule nécessitent d’être conservés dans des conditions spécifiques de température et d’humidité contrôlées. Cela étant dû à la nature organique des composants des différentes pellicules - nitrate de cellulose, diacétate, triacétate de cellulose - qui se dégradent en présence de températures et de taux d’humidité trop élevés, ou trop bas. L’un des principes fondamentaux de la conservation consiste donc à contrôler l’environnement dans lequel les films sont stockés afin de prévenir leur dégradation.

Jusqu’aux années 50, les films étaient produits sur une pellicule à base de nitrate de cellulose. Ces films requièrent des conditions de conservation très strictes, car ils sont hautement inflammables. Il est recommandé de les conserver à maximum 2°C et 20-30% HR (humidité relative) dans des locaux situés en dehors des zones habitables. Pour ses collections en nitrate, qui sont très précieuses, CINEMATEK dispose d’un dépôt, spécialement conçu pour la conservation de nitrates, en dehors de Bruxelles. Un contrôle hebdomadaire est effectué par les archivistes afin d’assurer la conservation à long terme de cette collection.

La pellicule à base d’acétate de cellulose, employée pour les copies jusqu’au début des années 90, et toujours employée de nos jours pour les négatifs de films tournés sur pellicule, pose un autre problème de conservation. Avec le temps, une décomposition chimique peut altérer le niveau d’acide acétique présent naturellement dans la pellicule — un phénomène baptisé « syndrome du vinaigre ». Afin d’empêcher cette détérioration, il est recommandé de conserver les films acétate en noir et blanc à 7°C et 30% RH, et les films acétate en couleur à 2°C et 30% RH. Les pigments des pellicules couleur étant très sensibles à cette dégradation, une dominante chromatique de l’image – souvent rouge ou magenta – peut éventuellement résulter de cette altération si les films n’ont pas été stockés dans des conditions optimales avant de rejoindre nos collections.

Depuis le début des années 90, les films sont tirés sur une pellicule à base de polyester, une matière plastique qui s’avère être très résistante, stable, et qui, pour les copies en noir et blanc, peut être conservée à température ambiante. En revanche, les copies couleur sont soumises aux mêmes contraintes de conservation que les copies sur support acétate.

Restauration et numérisation

En complément de ses activités de conservation, CINEMATEK mène une importante activité de numérisation et de restauration du patrimoine cinématographique.

Numérisation

CINEMATEK mène de nombreux projets de numérisation afin d’assurer la mise à disposition du patrimoine filmique sur support numérique. La numérisation permet l’accès aux matériels filmiques, à des fins de recherche scientifique et/ou de création de nouvelles productions, à travers les canaux modernes de diffusion numérique. La numérisation est principalement employée pour les documentaires, les actualités et les films sur support réduit pour lesquels une facilité d’accès, par les chercheurs et les professionnels de l’audiovisuel, est requise. Cette procédure permet également d’assurer la conservation des supports originaux en réduisant leur accès, évitant ainsi tout risque d’endommagement dû au visionnage.

Restauration

Chaque restauration vise à rendre à nouveau possible la projection d’un film, tout en préservant une version aussi proche que possible de la version telle qu'elle a été vue lors de sa première diffusion en salle. Certains films ne peuvent plus être projetés en raison des dégâts mécaniques causés par la forte usure à laquelle certaines copies ont été soumises lors de leur passage dans le projecteur. D’autres films, en état de décomposition avancée, requièrent une sauvegarde d’urgence afin d’éviter la disparition du film même.

Historique du travail du restaurateur

Le travail de restauration est toujours effectué sur une copie, une reproduction de l’œuvre originale, et non sur la version originale elle-même. Le cinéma est de nature industrielle, sérielle et reproductible : le concept d’original dans le domaine du cinéma diffère donc de celui des autres objets d’art. De plus, chaque restauration est le produit des techniques d’une époque donnée et est influencée par les valeurs esthétiques de cette même époque. L’éthique de la restauration réside également dans l'importance de la documentation des choix établis. Tout est mis en œuvre afin de produire une version aussi proche que possible de la version d’origine, néanmoins, chaque copie restaurée consciemment est un objet unique. Les dossiers de restauration qui documentent chaque phase du processus permettent à toute restauration d’être réversible : c’est là l’un des principes déontologiques fondamentaux de la restauration.

Durant les années 60/70, les activités de restauration (nettoyage de la pellicule, réparations de déchirures et de perforations, tirages…) consistaient à reproduire le contenu narratif du film sans véritablement en considérer ses qualités esthétiques. A partir des années 90, le concept de ne pas se limiter uniquement à la sauvegarde du contenu d’un film mais de désormais tenir compte de ses caractéristiques esthétiques, vient s’affirmer, et mener à la naissance du métier de restaurateur. L’arrivée du numérique au début des années 2000 vient également bouleverser le monde des archives car il soulève des problématiques essentielles relatives au respect de l’éthique de la restauration, ainsi qu’à la gestion budgétaire dédiée aux activités de restaurations.

Étapes techniques d'une restauration numérique

La première étape d’un projet de restauration consiste à réaliser une étude approfondie de l’œuvre et une sélection des meilleurs éléments à partir desquels la restauration sera effectuée.

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Une fois les éléments de restauration choisis, nous procédons à leur préparation afin qu’ils puissent être scannés. Cette étape consiste à réparer les parties endommagées, à reconstruire les perforations manquantes, à refaire les collures, entre autres.

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Dans un troisième temps, nous effectuons un nettoyage de la pellicule afin d’éliminer la saleté laissée par le temps.

Une fois les éléments réparés et nettoyés, nous procédons au scan de l’image et du son à l’aide d’équipements spécialement conçus pour répondre aux besoins des archives.

L'image numérisée est ensuite stabilisée et nettoyée. A l’aide d’un logiciel, les parties endommagées d’un photogramme sont traitées et remplacées par des parties « propres » détectées dans d’autres photogrammes issus de la même séquence. Il est important que les interventions restent imperceptibles et qu'aucun artefact numérique ne soit créé. Il est donc parfois nécessaire de préserver les rayures et les tâches. Les outils numériques permettent d’aller plus loin dans le travail de restauration mais le conservateur/restaurateur doit veiller à ce que la version originale soit respectée dans son intégralité. Le conservateur/restaurateur veille notamment à qu’il n’y ait pas d’intervention sur les défauts liés aux moyens techniques employés à l’époque à laquelle un film a été tourné (par exemple poils caméra ou instabilité).

La même philosophie est appliquée dans la dernière phase de la restauration : la color correction et/ou l’étalonnage. Ces procédures permettent de rétablir les couleurs d'origine d'un film. Cela s’effectue en utilisant une copie de référence quand les films sont très anciens. Dans le cas de films plus récents, nous travaillons également en étroite collaboration avec le réalisateur ou le directeur de la photographie.

La conservation numérique : un nouveau défi

Au cours des dernières années, ce qu’il convient d’appeler la révolution numérique est venue bouleverser le secteur du cinéma. Les films sont désormais tournés, montés, projetés et sauvegardés sur support numérique. Au-delà des films sur support “numérique natif”, les films sur support analogique sont de plus en plus numérisés. Afin d’assurer la conservation à long terme de tous ces éléments numériques, CINEMATEK a développé une plateforme ainsi qu’un workflow basé sur des formats ouverts. De plus, afin d’assurer le stockage et la protection des données numériques, il est impératif de considérer l’importance croissante du budget alloué à cette activité. Tous les films numériques déposés à CINEMATEK sont soigneusement vérifiés et catalogués avant d’être stockés dans nos archives digitales- serveurs et cassettes LTO. Les métadonnées techniques et descriptives relatives au film sont également saisies dans notre base de données. Les données sont stockées sur des bandes magnétiques LTO (Linear Tape-Open), une technologie d'archivage de données au format ouvert qui a su faire ses preuves dans différents secteurs, notamment comme innovation en matière de stockage numérique.

Malheureusement, ce système présente aussi quelques inconvénients : les LTO, comme tout support de stockage numérique, ont une durée de vie limitée, ce qui nécessite donc une migration continue – nommée « perpétuelle », des fichiers vers de nouvelles générations de bandes LTO plus performantes.

Un second problème réside dans l'incertitude liée à la potentielle incompatibilité des fichiers actuels avec les lecteurs qui seront produits dans les années à venir, ce qui nécessitera alors une conversion du fichier. Il est donc impératif de sauvegarder le film dans la meilleure qualité possible, dans la plus haute définition. La quantité de données constitutives d’un film est colossale. Le format standard pour la projection numérique est aujourd’hui de 4K : cela signifie qu’un long métrage au format 4K peut facilement mesurer jusqu’à 4 ou 6 TB - Terabyte (ou équivalant à plus de 200 disques Blu-ray).

Outre la migration perpétuelle, les backups constituent le deuxième pilier d'une stratégie de sauvegarde numérique afin d’assurer la conservation numérique à long terme. Les films numériques sont sauvegardés sur au moins deux supports LTO identiques, qui se trouvent sur un site distinct de notre centre de conservation.

Standardisation en matière de livraison de films ‘born-digital’/ numérique natif

La standardisation de formats est essentielle dans le processus de développement de la conservation numérique. Idéalement, le workflow des sociétés de post-production devrait s’aligner avec la procédure adoptée par les archives. C’est pour cela, depuis quelques années, les éléments suivants concernant les nouvelles productions de films belges sont déposés à CINEMATEK:

  • Le master non-compressé, aussi nommé Digital Cinema Distribution Master (DCDM).

  • Une copie de projection Digital Cinema Package (DCP), avec les différentes versions de langue et de sous-titres. Cette copie de projection ne doit pas être cryptée (une technique utilisée par l’industrie afin de sécuriser l’accès au film).

  • Un fichier de référence ou fichier mezzanine. C’est un fichier léger utilisé pour la diffusion TV ou en ligne et pour produire des masters, par exemple un DVD.

  • Afin de compléter cette mission de conservation d’une œuvre cinématographique, les fichiers non-comprimés relatifs à la documentation de la sortie du film (film-related collections : photos, affiches, dossiers de presse numériques, scénarios …) sont aussi déposés à CINEMATEK.