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CINEMATEK

60 ans de cinéma Algérien

08.12 2023 > 14.02 2024

06.12 2022

Autour des 60 ans du cinéma algérien


L’historien du cinéma et programmateur Olivier Hadouchi a également participé au projet, et il présentera le documentaire de William Klein sur le Festival Panafricain d’Alger le 21 janvier, avec les images des défilés, des danses, des concerts, des spectacles, mais aussi des prises de parole durant ce Festival. Ce film a été entièrement financé par l’Algérie, avec des équipes constituées de cinéastes et de techniciens venus d’Algérie et d’ailleurs.

Nous avons demandé à ces personnes leur opinion sur ce programme dans son ensemble, et aussi quels étaient les films auxquels ils ou elles tenaient en particulier.

D’emblée, le cinéaste Chafik Allal nous a fait remarquer qu'il s’agissait d’un programme et non d’une rétrospective. Son socle est non-exhaustif et subjectif. Néanmoins, il a semblé à nos partenaires, universitaires, cinéastes, journalistes, artistes, qu’il rendait bien compte de la richesse et de la diversité du cinéma algérien.

« Un cinéma né juste avant l’indépendance », rappelle l’historien du cinéma et programmateur Olivier Hadouchi, « avec des cinéastes pionniers comme Tahar Hannache, puis Djamel Chanderli, qui a rejoint le maquis et le service cinéma du FLN et du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) à Tunis durant la guerre d’indépendance, il a surgi comme un cinéma national, il a commencé à se développer durant cette guerre, et il a été pendant des années l’un des cinémas les plus dynamiques en Afrique. »

Yasmine Chouikh

Olivier Hadouchi note d’ailleurs que, bien qu’il compte un nombre non négligeable de films, le cinéma algérien reste encore peu connu. Voici une excellente occasion pour s’y plonger et prendre un bain de jouvence et de diversité, d’engagement et de cinémas « féminins ».

Yasmine Chouikh, réalisatrice et journaliste, y voit « des visages, des mentalités, des couleurs, des passés, des futurs, un éventail d’idées et de pensées qui cohabitent tantôt de manière douce, tantôt de manière douloureuse; tout cela sur la même pellicule et sur le même écran ».

« C’est un cinéma qui explore toutes les palettes de la vie, un cinéma qui », dit Olivier Hadouchi, « a pu réfléchir à son histoire et même à l’histoire du pays, en abordant notamment des périodes comme la guerre d’indépendance ou la décennie noire, mais aussi la vie quotidienne des Algériennes et des Algériens ».

« La genèse de sa naissance se situe sous l’ère coloniale, et se sont révélés ensuite » – c’est ainsi que le résume Ali Mokrani, Ambassadeur d’Algérie à Bruxelles – « des œuvres retraçant le combat pour l’émancipation, le reflet du vécu quotidien, la richesse des scénarios, la participation de la femme, le haut degré des professionnels du cinéma, l’amour du citoyen pour le film algérien, la multitude de coproductions avec des cinéastes et des pays de référence mondiale du septième art comme l’Italie, la première et unique au plan arabe et africain avec la Palme d’Or au Festival de Cannes 1975 et la richesse du patrimoine cinématographique conservé par la Cinémathèque algérienne. »

C’est donc un cinéma qui présente un pan ‘formel’ de lutte, « avec de l’engagement, du politique et du sensible, plus lié aux élites progressistes », précise encore le cinéaste Chafik Allal. En somme, un cinéma « poélitique ».

« Ces images liées au temps de la lutte de libération sont expressives et servent de témoignage de la dureté et de la sauvagerie de l’ère coloniale française », et, poursuit l’Ambassadeur Ali Mokrani ; « les scénarios souvent tirés des grands écrivains algériens participent à la consolidation de la mémoire historique, notamment dans la première période postcoloniale de lutte contre l’oubli et pour l’appréciation et la sauvegarde de la liberté arrachée et retrouvée ».

Olivier Hadouchi pointe le film de Kamal Dehane sur le poète Kateb Yacine, grand écrivain algérien connu pour son regard critique et sa liberté de ton, et celui d’Assia Djebar, qui fut aussi une romancière, une écrivaine importante.

Où commencer ?

En situant un certain nombre de films dans la démarche de décolonisation, Kamal Dehane recommande Tahia Ya Didou ! de Mohamed Zinet qui reste pour lui « le film essentiel » dans le cinéma de l'Algérie indépendante ; « l'âme d'Alger est portée par ce film proche du cinéma néoréaliste italien ».

Olivier Hadouchi approuve : « C’est un film poétique qui dialogue parfois avec le cinéma burlesque de Keaton ou de Tati, tout en étant ancré profondément dans la vi(ll)e d’Alger ».

Kamal Dehane ajoute un coup de cœur à sa liste : Algérie année zéro de Marceline Loridan-Ivens, un documentaire tourné les premiers jours de l'indépendance de l'Algérie bouleversant. Notez que ce film a été interdit en France et en Algérie à l'époque ! ».

Yasmine Chouikh conclut très joliment sur ces mots, que nous soulignons à notre tour : « Je souhaite à toute personne dans la capacité de voir les films, d’en voir le maximum, car ce programme est éclectique et chaque cinéaste apporte son univers sur l’écran. On peut se retrouver dans un film et pas dans un autre, mais ce qui est sûr, c’est qu‘on y retrouve des Algéries aussi plurielles que ses artistes et ses habitants ».

Le réalisateur Kamel Dehane va dans ce sens, en faisant remarquer que de plus en plus de jeunes cinéastes explorent les états d'âme des individus-citoyens comme Papicha et 143 rue du Désert de H. Ferhani. Chafik Allal nous confirme : « Depuis une quinzaine d'années, une jeune génération connectée au reste du Monde, pétrie de talent, encore plus libre des institutions, se rencontrait dans un super lieu pour parler de Cinéma (les Rencontres Cinématographiques de Béjaïa) : beaucoup de dynamisme, de créativité, et de diversité) ».

L'équilibre entre films de réalisatrices et de réalisateurs

Le cinéma fait par des femmes est très présent dans ce programme ayant intégré la dimension de « genre », indique Chafik Allal qui pense notamment au personnage fort de Nahla qui « représente peut-être le naufrage du Monde arabe ». Dans ce film de Farouk Beloufa, tourné à Beyrouth et au Liban en pleine guerre civile, « on voit le regard de femmes en plein désarroi, au bord de la crise de nerfs ».

Dans un autre registre, il y a une séquence historiquement marquante montrant la participation très forte de femmes pendant La Bataille d'Alger : dans ce film, on voit trois combattantes du FLN – Zohra Drif, Samia Lakhdari et Djamila Bouhired – se préparant à quitter la Casbah et à poser des bombes dans des espaces des colons français. Elles enlèvent leurs abayas, se maquillent, coupent et teignent leurs cheveux, et se changent pour mettre des vêtements français. Cette séquence puissante a fait l'objet de nombreux débats sur le rôle des femmes dans les luttes révolutionnaires, ainsi que sur la religion, la performance et la présentation des genres.

La battaglia di Algeri, Gillo Pontecorvo

L’appropriation du cinéma comme enjeu de luttes semble d’ailleurs bien présent dans les films faits par des femmes : il est d’ailleurs agréable de noter l’arrivée dans le milieu d’un nombre relativement important de femmes cinéastes. Chafik Allal note d’ailleurs que « les réalisatrices ‘reconnues’ sont bien plus nombreuses qu'avant et que dans de nombreux cinémas de pays européens ». Ces réalisatrices portent à l’écran des sujets relatifs à l’appropriation par des femmes aussi bien de l’espace public, de luttes pour s’émanciper, que de regards sur l’Histoire de l’Algérie (À Mansourah, tu nous as séparés) ou sur les enjeux actuels jugés importants au sein de la société (Nar de Meriem Achour-Bouakkaz).

Quelques recommandations

Nos interlocuteurices s'accordent pour reconnaître qu’il est difficile de choisir un film parmi tant de grandes œuvres cinématographiques présentes dans le programme des 60 ans de cinéma algérien proposé à Bruxelles. L’Ambassadeur Ali Mokrani, pour qui ce programme évoque un sentiment de fierté et de joie, vous recommande tous les films du programme ! « Avec une légère faveur pour : Chronique des années de braise, Palme d’Or en 1975, La Bataille d’Alger, Lion d’Or de la Mostra de Venise en 1966 et Omar Gatlato, sélectionné à Cannes en 1977. Le film de Merzak Allouache qui présente une facette de la personnalité algérienne d’un citadin de la Capitale, renferme des images parlantes et expressives ».

Pour Yasmine Chouikh le programme renvoie fortement à son histoire familiale. « Voir un film de mon père (El kalaa), un film de ma mère (Rachida) – petit hommage à ma maman chérie qui est partie mais qui continue à faire (nos) films avec nous – et le mien (Jusqu’à la fin des temps) dans le même catalogue est très agréable, et un peu déroutant dans un sens heureux. Pourquoi ne pas voir ces trois films et comparer les différences, ou voir les points communs de trois cinéastes qui vivent sous le même toit, et qui ont fabriqué leurs films en famille ».

« Certes, ces films parlent de 3 contextes différents ; c’est peut-être justement ça l’enjeu en regardant ces 3 films et, plus largement, d’autres films de ce programme : voir ce qui traverse les contextes et les époques pour trouver le fil rouge « poélitique » qui relie les différents films et nous permet d’approfondir la grande Histoire et interroger la petite histoire de chacun.e. C’est dans ces interstices entre l’intime et le politique que se nichent les propos de ces films. Par l’émotion, le trouble, les larmes, le rire et aussi par la tête, l’esprit, le sensible, le corps. » Nous dit le cinéaste algérien basé à Bruxelles, Chaffik Allal.

Ce réalisateur présentera la séance du 04.02.2023 avec quelques mots sur le court métrage de Nazim Djemaï La Parade de Taos, film qui précédera le documentaire Nar de la cinéaste Meriem Achour Bouakkaz. Celle-ci nous a confié: "C’est toujours avec beaucoup d’émotions que mon regard se pose sur les images de ceux qui nous ont précédés. Chaque image évoque à mes yeux l’audace et l’obstination de son auteur à la faire exister. Le cinéma algérien pour moi est un cri, un cri qu’on a tenté d’étouffer mais qui continue de briser le silence, de l’empêcher, un cri qui nous dessine, qui dessine les contours d’une histoire entravée qui refuse de s’effacer, de se taire…, c’est un cinéma rare, précieux, chaque pièce est déterminante dans la composition d’un récit dont le souffle nous parvient de très loin, dont le souffle a une odeur de sang, de cendres et de larmes. Le cinéma algérien est aussi le témoin de la richesse historique du pays, de la complexité de la personnalité algérienne, du poids des non-dits et des tabous persistants mais aussi d’une soif de liberté incontestable. Cet évènement hommage permet un accès privilégié à un cinéma qui manque de visibilité, une incursion dans ses origines et dans ce qui en fait le renouveau aujourd’hui.»



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