Chantal Akerman, Restauration
La restauration numérique
Restaurer les films de Chantal Akerman #2
La dernière ligne droite en préparation de la rétrospective Chantal Akerman.
01.03 2024
Restaurer les films de Chantal Akerman
La restauration numérique
Demain on déménage
La restauration du film de Chantal Akerman, Demain on déménage par la Cinémathèque royale de Belgique a eu lieu alors que l’institution était à la préparation et l’organisation de la rétrospective qu'elle lui dédie de mars à juillet 2024. C’est l’occasion de faire le point et d'examiner plus de dix années écoulées à travailler sur les restaurations de ses films. Arianna Turci et Bruno Mestdagh, responsables des collections film, et Christophe Tondeur, expert en restauration de films, expliquent le travail de restauration.
La restauration des films est aujourd’hui un procédé numérique qui demande toutefois un travail préparatoire physique sur la pellicule. Avant leur numérisation, les bobines de film sont inspectées pour voir si elles sont complètes et en bon état. Le film est d'abord nettoyé dans une machine à laver spécialement conçue à cet effet. Si nécessaire, de petites réparations sont effectuées, telles que des corrections sur les perforations qui se trouvent sur les bords de la pellicule afin de faciliter le passage du film dans le scanner. Une fois numérisé, nous obtenons une série d'images numériques, correspondant aux photogrammes individuels du film. Dans le cas de Toute une nuit et de nombreux autres films, il s’agit de 24 images pour chaque seconde de film. C’est sur cette série d’images numériques que l'équipe de restauration effectue son travail.
L'objectif de restaurer un film est de le présenter au public dans son état d'origine, tel qu'il était lors de sa sortie initiale. On enlève ce que le temps a rajouté au film, telles que des poussières, des rayures ou des altérations de couleurs qui sont les résultats de l’utilisation du matériel et de changements dans la composition chimique de la pellicule au fil du temps. Pour cela, les restaurateur·rice·s disposent d’un ensemble d'outils logiciels et d’équipements spécialisés. Bien que la technologie ait progressé au cours des dix dernières années, l'objectif fondamental de leur travail demeure inchangé : redonner au film son aspect authentique, tout en tenant compte des limites de la pellicule utilisée et des possibilités offertes par la technologie numérique.
Idéalement, un projet de restauration commence à partir des meilleurs matériaux d’image et de son. Pour l’image, il s’agit en principe du négatif original, à savoir celui qui était dans la caméra au moment du tournage. Pour Demain on déménage (2004), un film relativement récent, le négatif était en bon état, facilitant ainsi sa restauration, mais ce n’est pas toujours le cas. Les films plus anciens de Chantal Akerman ont été manipulés depuis plus longtemps pour en faire des copies, ce qui a entraîné une détérioration physique du matériau. Dans le cas de Les Rendez-vous d’Anna (1978), restauré avant Demain on déménage, le négatif n’était pas en très bon état car il avait été dépoli. Ce processus consiste à enlever une fine couche du négatif et était appliqué sur des films pour enlever des rayures qui se trouvaient à la surface. C’est donc une intervention très invasive, qui laisse des taches sur l’image. Il était alors nécessaire, lors de la restauration numérique, de corriger les traces laissées par ce processus sur le film.
Parfois, il n’y a même aucun négatif disponible. Dans une telle situation, il faut se tourner vers d'autres sources de matériel. Pour La Paresse (1986), un court métrage de Chantal Akerman faisant partie d’un film collectif, CINEMATEK ne disposait initialement pas de matériaux de conservation. Mais quand en 1996 CINEMATEK organise une rétrospective Chantal Akerman, Gabrielle Claes, qui était conservatrice à l’époque, emprunte une copie d’une chaîne de télévision allemande et en fait tirer une copie pour la conservation à long terme. Lors de la restauration du film en 2019, la copie allemande s'est révélée perdue à la suite de recherches entreprises par CINEMATEK. La pellicule copiée et conservée à CINEMATEK est donc l’unique exemplaire de ce court métrage dont on connaît à présent l’existence. Sans cette copie de 1996 et sa conservation les années suivantes, ce film serait aujourd’hui perdu. Toutefois, comme il s’agit de la copie d’une copie, la qualité des images sur lesquelles l’équipe travaille pour la restauration n’est pas la même que la qualité des images qui proviennent d’un négatif, ce qui impacte le résultat final de la restauration.
La qualité du résultat d’une restauration dépend de la qualité du matériel de base. Pour éliminer des rayures et autres défauts d’une image, il est nécessaire d'avoir des images adjacentes qui soient encore en bon état. Parce qu’en définitive, le processus de restauration consiste à copier des parties d’images et les coller sur des parties endommagées d’autres images pour éliminer les défauts. Plus le film original est endommagé, plus il est difficile de trouver des références intactes pour réaliser cette opération. Lorsque la réparation d'une partie de l’image n'est pas possible, il est parfois préférable de la laisser telle quelle. Les restaurateur·rice·s travaillent donc avec une grande précision pour s'assurer que les logiciels automatiques n'altèrent pas involontairement l'image, en évitant par exemple de remplacer les défauts d’une image par les défauts d’autres images. Les restaurateur·rice·s contrôlent et corrigent en permanence leurs outils technologiques en vue de s’assurer une conservation de l’authenticité de l’image d’origine. Cette recherche d’équilibre entre l’authenticité de l’image initiale utilisée pour la restauration et l’idéal d’une image impeccable demande aux restaurateur·rice·s un travail d’interprétation et de réflexion prenant en compte les spécificités de chaque projet de restauration.
Pour finir, le passage même de l’analogique au numérique change fondamentalement certains aspects de l’image. Par exemple, les images numériques peuvent présenter des différentes limites de contraste par rapport à leurs équivalents analogiques. Quand la lumière est très forte dans l’image sur pellicule, comme pour un ciel très lumineux, la pellicule devient transparente, laissant alors passer directement la lumière du projecteur. En revanche, la même image en version numérique, peut présenter ce qu’on appelle du bruit numérique à ces endroits. Ce sont des irrégularités que l’on peut voir là où il devrait y avoir une surface uniforme de couleur. Les restaurateur·rice·s connaissent bien les particularités du passage de l’image analogique au numérique et mettent en œuvre des stratégies pour diminuer ce genre d’effets non désirés dans l’image numérique. Il s’agit d’un travail de compromis, car l’image numérique diffère de l’image analogique, mais un compromis raisonné. Le défi du passage de l’analogique au numérique réside donc dans la recherche de ce juste équilibre afin de rendre le film de nouveau visible.
Le troisième article de cette série sur les restaurations du travail de Chantal Akerman se penchera sur l’étalonnage des films et les implications qu’a le passage de l’analogique au numérique pour les couleurs d’un film.
Voir aussi :
La restauration de Demain on déménage est soutenue et financée par Belspo, le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Union européenne – NextGeneration EU et la Loterie nationale et ses joueurs.